2.
Eve faillit rentrer chez elle ce soir-là. Une soirée en solitaire lui aurait laissé tout le loisir d’étudier en détail la dernière journée de Cicely Towers. Et puis, elle avait besoin de repos. Malgré tout, la tentation de passer la nuit avec Connors fut trop forte et elle prit la direction de Central Park Ouest où se trouvait sa magnifique demeure. Épuisée, elle brancha le pilotage automatique et se laissa guider dans la circulation, dense à cette heure du soir, même si elle se raréfia à mesure qu’Eve s’éloignait du centre vers les quartiers résidentiels huppés.
Quand elle parvint devant les grilles de la propriété, le système de surveillance déclencha l’ouverture et la voiture remonta l’allée sinueuse qui traversait un immense parc. Le printemps y donnait sa pleine mesure : au milieu d’une pelouse méticuleusement entretenue, les cerisiers étaient en pleine floraison et les boutons des rosiers commençaient de s’épanouir. Les tons changeants du couchant se reflétaient dans les baies vitrées de l’imposante bâtisse en pierre de taille qui se dressait au milieu du parc déjà baigné dans le clair-obscur du crépuscule. Depuis les quelques mois qu’elle connaissait Connors, Eve n’avait toujours pas réussi à s’habituer à cette grandeur et à cette somptuosité. Elle gara la voiture devant le perron de granit et gravit les marches d’un pas allègre. Par défi, elle ne frappait jamais à seule fin d’agacer le majordome qui ne cachait pas son dédain à son égard. Comme toujours, Summerset apparut dans le vestibule tel un mauvais génie. Malgré son air impassible, une lueur de désapprobation passa dans son regard lorsqu’il contempla les vêtements d’Eve, les mêmes que la veille et passablement chiffonnés.
— Comme nous ignorions l’heure de votre retour, nous ne vous attendions pas, lieutenant , commença-t-il avec son léger accent britannique.
En guise de réponse, Eve haussa les épaules et ôta sa veste de cuir usé qu’elle lui tendit à bout de bras, provocante.
— Connors est-il ici ?
— Il est en communication interspatiale.
— L’Olympe ?
Summerset pinça des lèvres outrées.
— Je ne me permettrais pas d’interroger Monsieur sur ses affaires.
C’est ça, fais l’innocent, songea Eve, n’ignorant pas que le majordome était au courant de tout ce qui concernait Connors. Sans prendre la peine de relever, elle se dirigea vers le majestueux escalier au fond du vestibule.
— Je monte, dit-elle avec un bref regard en arrière. Quand Connors aura terminé, ayez l’obligeance de lui dire que je suis dans la salle de bains.
A l’instant où elle referma derrière elle la porte ouvragée de l’immense suite du maître de maison, elle commença à se dévêtir en se dirigeant vers la salle de bains.
— Quarante degrés, ordonna-t-elle en descendant dans l’imposante baignoire de marbre.
Après réflexion, elle y versa une bonne dose de sels de bain que Connors lui avait rapportés de Silas III. Elle se glissa avec délices dans la mousse émeraude comme la mer des Caraïbes. Avec un profond soupir, elle ferma les yeux et s’abandonna à la chaleur bienfaisante qui enveloppait son corps endolori.
C’est ainsi que Connors la trouva, plongée jusqu’au cou dans l’eau moussante, le visage rosi par l’eau chaude du bain. Malgré ses yeux fermés et sa pose alanguie, il devina sa tension nerveuse à son poing serré sur le large rebord de la baignoire et au pli soucieux entre ses yeux. Il s’avança à pas de loup et s’assit sans un bruit sur le rebord. A son insu, il la contempla pendant de longues minutes. Soudain, Eve ouvrit les yeux, d’un brun doré comme le miel, et aussitôt un large sourire illumina son visage. Comme toujours, la seule vue de Connors faisait bondir son cœur. Il était si séduisant... Sous son abondante chevelure noire, la beauté de ses traits volontaires évoquait dans l’esprit d’Eve le visage d’un ange déchu.
— Quel pervers tu es ! lui lança-t-elle, un sourcil levé devant son regard d’un bleu profond comme l’océan où se lisait un indéniable amusement.
Connors plongea une main fine et élégante dans la mousse. Sans quitter Eve des yeux, il effleura la courbe de ses seins.
— Tu vas t’ébouillanter, murmura-t-il.
— J’avais besoin d’un bon bain chaud.
— Il est vrai que tu as une rude journée derrière toi.
Il sait déjà, songea Eve, réprimant une pointe de contrariété. Connors savait toujours tout. Elle se contenta de hausser les épaules tandis qu’il se dirigeait vers le bar automatisé encastré dans le carrelage. Après un bref bourdonnement, l’appareil servit du champagne dans deux flûtes en cristal. Connors vint se rasseoir sur le bord de baignoire et tendit un verre à Eve.
— Pas dormi, rien mangé. Vous m’inquiétez lieutenant Dallas.
— Tu t’inquiètes trop facilement, répondit-elle après avoir siroté une gorgée de champagne.
— Je t’aime, voilà tout.
Eve fut troublée de l’entendre prononcer ces mots avec cette voix envoûtante au léger accent qui évoquait les brumes magiques de l’Irlande. Ne sachant que répondre, elle contempla le fond de son verre. Irrité par son silence, Connors préféra changer de sujet et demanda :
— Qu’est-il arrivé à Cicely Towers ?
— Tu la connaissais, n’est-ce pas ? questionna Eve à brûle-pourpoint.
— Très peu. Surtout par son ex-mari.
Il marqua une pause songeuse.
— Je la trouvais admirable, intelligente et... dangereuse.
Eve se redressa dans la baignoire, inconsciente du fait que la mousse dissimulait à peine ses seins.
— Dangereuse ? Pour toi ?
— Pas directement, répondit-il avec un léger sourire. Plutôt pour les malfrats en tous genres. A cet égard, elle te ressemblait beaucoup. J’ai bien fait de m’amender.
Eve n’était pas vraiment persuadée qu’il avait renoncé à toutes ses activités illicites, mais se garda de relever.
— Aurais-tu idée de qui pouvait vouloir sa mort ?
— Est-ce un interrogatoire, lieutenant ? s’enquit-il avec un sourire narquois qui irrita Eve.
— Ça se peut, répliqua-t-elle d’un ton sec.
— Comme tu voudras.
Il se leva, posa son verre et entreprit de déboutonner sa chemise.
— Qu’est-ce qui te prend ?
— Je me jette à l’eau, répondit-il en débouclant son ceinturon. Si je dois être interrogé par une femme flic nue dans ma propre baignoire, le moins que je puisse faire est de la rejoindre.
— Voyons, Connors, c’est sérieux. Il s’agit d’un meurtre !
Il tressaillit en se glissant dans la baignoire.
— A qui le dis-tu ? J’ai bien failli m’ébouillanter.
Il s’allongea en face d’elle.
— Sais-tu que tu m’attires irrésistiblement, même avec cet insigne invisible sur ta superbe poitrine ?
D’une main, il effleura sa cheville, puis la courbe de son mollet et remonta jusqu’à l’arrière de son genou qu’il savait très sensible.
— J’ai envie de toi, murmura-t-il d’une voix rauque. Tout de suite.
Sous la douceur de ses caresses, Eve manqua lâcher son verre, mais elle se ressaisit et replia ses longues jambes sculpturales en tailleur.
— Parle-moi plutôt de Cicely Towers.
Résigné, Connors retira sa main. Il saurait se montrer patient.
— Avec son ex-mari et George Hammett, Cicely siégeait au conseil d’administration d’une de mes sociétés appelée Mercure, tu sais, le dieu de la vitesse. Transports et livraisons rapides en tous genres. Enfin tu vois.
— Je connais Mercure, répondit-elle un peu sèchement, agacée d’ignorer qu’il s’agissait d’une de ses nombreuses sociétés.
— Avant que je l’acquière il y a une dizaine d’années, l’entreprise était au bord de la faillite. Marco Angelini et Cicely ont pris le risque d’y investir. A l’époque, ils étaient encore mariés, ou bien juste divorcés. Hammett a lui aussi acheté un nombre important d’actions. Mais il me semble que sa liaison avec Cicely remonte à quelques années plus tard.
— Et comment étaient les relations entre les deux hommes ?
— Apparemment amicales répondit Connors en pressant nonchalamment un carreau qui révéla une chaîne hi-fi miniature.
Il programma une musique langoureuse.
— Si tu te préoccupes du résultat de mon investissement, je peux t’assurer que c’est une bonne affaire.
La contrebande est-elle aussi une spécialité de Mercure ? rétorqua Eve du tac au tac
Sur le visage de Connors apparut de nouveau ce sourire narquois qui l’horripilait au plus haut point.
— Vous êtes bien curieuse, lieutenant.
Dans un remous, Eve se pencha brusquement vers lui.
— Pas de petits jeux avec moi, Connors !
— C’est pourtant mon souhait le plus cher.
Eve grinça des dents et repoussa d’une chiquenaude la main qui remontait le long de sa cuisse.
— Cicely Towers avait la réputation d’être un procureur intègre et dévoué. Si elle avait découvert la moindre irrégularité dans les activités de Mercure, elle n’aurait pas hésité une seule seconde à te poursuivre.
— Selon toi, elle m’aurait démasqué et j’aurais chargé un tueur à gages de l’éliminer dans un coin sombre ? demanda-t-il en la fixant droit dans les yeux d’un air moqueur. Est-ce vraiment ce que tu penses ?
— Non, et tu le sais très bien. Mais...
— D’autres le pourraient, termina-t-il à sa place. Et cela te mettrait dans une position délicate.
— Tu n’y es pas du tout, répondit-elle, sincère. Connors je dois savoir. Dis-moi si tu es de près ou de loin mêlé à cette affaire.
— Et si oui ?
Eve sentit son sang se glacer.
— Alors je devrai renoncer à l’enquête.
La mine indéchiffrable, Connors la dévisagea un instant.
— As-tu confiance en moi Eve ? demanda-t-il après un silence songeur.
— Il ne s’agit pas de confiance.
Aussitôt, le visage de Connors se ferma. Eve soupira intérieurement. Pourquoi tout était-il toujours si compliqué avec lui ?
— Je ne t’accuse de rien, tenta-t-elle d’expliquer. Mais un enquêteur qui ne te connaîtrait pas t’inscrirait d’office sur la liste des suspects. Avec moi, c’est différent : je te connais et...
Eve ferma les yeux et passa ses mains mouillées sur son visage. Elle détestait devoir dévoiler ses sentiments.
— Je m’efforce de trouver des réponses qui te laisseront en dehors de cette affaire parcetu... comptes pour moi.
— Ce n’était pourtant pas difficile à dire, mur- mura-t-il en secouant la tête. Écoute. Mercure est une entreprise parfaitement honnête. L’affaire tourne bien et rapporte un bénéfice acceptable. Tu me crois peut-être assez arrogant pour m’impliquer dans des activités illicites avec un procureur dans mon conseil d’administration, mais tu devrais quand même savoir que je ne suis pas aussi stupide.
Persuadée de la sincérité de Connors, Eve se sentit soudain libérée de l’oppression qui pesait sur sa poitrine depuis des heures.
— D’accord. Mais les interrogatoires ne vont pas manquer. Les journalistes ont déjà fait le rapprochement entre Cicely Towers et toi.
— Je sais. Mais qu’y puis-je ? Ils ne te harcèlent pas trop ?
— Ce n’est que le début.
Dans une de ses rares démonstrations d’affection, Eve lui prit la main et la serra avec tendresse.
— Moi aussi, je suis désolée, Connors. J’ai l’impression que nous voilà à nouveau embarqués dans une drôle d’affaire.
Il se glissa vers elle et porta ses doigts à ses lèvres.
— Tu sais, il est inutile de vouloir m’épargner des tracasseries. Je suis capable de m’en occuper moi-même. Et si je peux t’aider dans ton enquête, tu n’as pas à te sentir coupable ou mal à l’aise.
Cette fois, Eve se contenta de hausser les sourcils quand elle sentit la main libre de Connors effleurer sa cuisse.
— Si tu imagines faire des galipettes ici, il va nous falloir un équipement de plongée.
Il se redressa et la recouvrit de son corps puissant. L’eau clapota dangereusement jusqu’au bord de la baignoire.
— Je pense que nous nous en sortirons très bien sans.
Et pour le prouver, il pressa ses lèvres avec passion contre les siennes.
Le lendemain matin, Eve fut réveillée par les délicieux effluves du café véritable provenant des plantations de Connors en Amérique du Sud. Un nectar divin comparé au concentré de synthèse qui l’avait remplacé depuis plusieurs décennies. Avant même qu’elle ouvrît les yeux, un sourire béat se dessina sur ses lèvres.
— Hum, j’ai l’impression d’être au paradis, dit-elle en s’étirant.
— Ravi de l’entendre, répondit Connors.
Les yeux encore dans le vague, Eve remarqua qu’il était déjà habillé. Il portait un de ses élégants costumes sombres qui renforçait son allure d’homme d’affaires à la fois compétent mais aussi un peu dangereux. Assis dans le salon aménagé près de l’imposante estrade où trônait un superbe lit à baldaquin, il savourait son petit déjeuner tout en jetant un rapide coup d’œil aux nouvelles défilant sur l’écran de son ordinateur. Allongé sur l’accoudoir du fauteuil, Galahad, le chat gris qu’Eve avait recueilli quelques mois plus tôt à l’issue de l’affaire DeBlass, observait Connors de ses yeux gloutons.
— Quelle est-il ? demanda Eve, réprimant un bâillement.
— Six heures du matin, lui indiqua la voix électronique du réveil posé sur la table de nuit.
— Mon Dieu, Connors, depuis quand es-tu donc levé ?
— Depuis un moment. J’ignorais l’heure à laquelle tu dois prendre ton service.
Eve frotta son visage entre ses mains et passa ses doigts dans ses cheveux courts ébouriffés.
— J’ai encore deux heures devant moi.
Nue et encore à moitié endormie, elle s’assit lentement au bord du lit et chercha des yeux son peignoir en soie. Le droïde l’avait ramassé et suspendu délicatement sur la boiserie du pied de lit. Elle l’enfila d’un geste mal assuré. Connors lui servit une tasse de café et la regarda s’installer à table en face de lui. Aussitôt le chat sauta lourdement sur les genoux d’Eve. Quand, en guise d’accueil, il se pelotonna contre elle et entreprit de lui pétrir les jambes avec ses griffes acérée. Elle laissa échapper un petit grognement de douleur.
— Tu as dormi comme un loir, fit remarquer Connors, tandis qu’elle avalait d’un trait le café fumant.
— Oui, j’en avais bien besoin.
— Tu as faim ?
Connaissant les talents du cuisinier de la maison, Eve hocha la tête avec vigueur. Elle prit une pâtisserie en forme de cygne parmi le choix proposé sur un plateau en argent et l’avala en trois bouchées. Enfin bien réveillée, elle se servit elle- même une deuxième tasse de café. D’humeur généreuse, elle détacha la tête d’un cygne en pâte à choux et la donna Galahad.
— C’est toujours un plaisir de te regarder te réveiller, commenta Connors avec un sourire amusé. Mais j’ai parfois l’impression que tu m’aimes uniquement pour mon café.
— Peut-être... répondit-elle avec un petit sourire malicieux en portant la tasse à ses lèvres.
— Je dois me rendre en Australie aujourd’hui, reprit Connors après un silence. Tu es la bienvenue ici en mon absence.
— Nous en avons déjà parlé. Je ne me sens pas à l’aise quand tu n’es pas là.
— Peut-être le serais-tu si tu considérais enfin cette maison comme la tienne. Eve, poursuivit-il en lui prenant la main, quand te décideras-tu enfin à accepter les sentiments que je te porte ?
— Écoute, je me sens mieux chez moi, c’est tout. En plus, j’ai beaucoup de travail en ce moment.
— Tu n’as pas répondu à ma question. N’en parlons plus. Je t’appellerai dès mon retour, dit-il d’une voix qui se voulait indifférente. A propos de travail, tu serais peut-être intéressée d’apprendre ce que les médias racontent sur l’affaire Towers. Ouverture de l’écran, ordonna-t-il. Channel 75.
Sur le mur du fond, un grand panneau lambrissé coulissa dans un bourdonnement, révélant un écran de télévision géant.
— Oh non, pas cette sale petite fouine de Morse ! s’exclama Eve en découvrant le présentateur du journal de six heures.
— Chut écoute plutôt, lui dit Connors qui, se on fauteuil.
« ...retrouvée égorgée dans une ruelle du West End. Ce meurtre met violemment fin à la carrière d’une femme admirable, dévouée et intègre. Le combat pour la justice que menait le procureur Towers depuis des années restera dans toutes les mémoires. Mais son ignoble assassin sera-t-il démasqué ? Rien n’est moins sûr. Jusqu’à présent, le lieutenant Eve Dallas, chargée de l’enquête, s’est montrée incapable d’apporter le moindre élément de réponse. »
Excédée par la mauvaise foi du journaliste, Eve serra les poings de rage. Et pour couronner le tout, son portrait s’étala en gros plan à l’écran. Si elle s’était trouvée devant cet abruti de Morse, elle l’aurait étranglé !
« Jointe par vidéocom, le Lieutenant Dallas s’est abstenue de tout commentaire sur le meurtre. Concernant les rumeurs insistantes selon lesquelles la police chercherait à étouffer l’affaire, le lieutenant ne nous a fourni aucun démenti... »
— Quelle infâme petite ordure ! Il ne m’a jamais rien demandé de tel ! De toute façon, c’est ridicule ! Je suis chargée de l’enquête depuis à peine trente heures ! explosa-t-elle en frappant du poing l’accoudoir, ce qui fit fuir Galahad.
— Chut, murmura Connors dans une vaine tentative pour la calmer, tandis qu’elle bondissait de son fauteuil et arpentait la pièce d’un pas rageur.
« ... longue liste de noms connus liés au procureur Towers, parmi eux celui du commandant Whitney, le supérieur du lieutenant Dallas. Le commandant a récemment refusé le poste de chef de la police et de la sécurité. C’est un ami de longue date de la victime... »
— Et voilà ! s’exclama Eve en éteignant l’écran d’un claquement de mains furieux. Je vais en faire de la bouillie. Où Nadine Furst est-elle donc passée ? Si nous devons avoir un journaliste sur le dos, au moins qu’il ait autre chose qu’un pois chiche à la place du cerveau !
— Je crois qu’en ce moment elle se trouve sur Oméga III. Un reportage sur la réforme pénitentiaire. Tu devrais organiser une conférence de presse, Eve. La méthode la plus simple et la plus efficace pour mettre fin à ce genre de polémique consiste à jeter une bûche bien choisie dans le feu.
— Ce sale type m’exaspère ! Il ne va pas s’en sortir aussi facilement avec ses insinuations, crois-moi. Whitney est irréprochable, répondit Eve qui ferma les yeux dans un profond soupir.
Très vite, cependant, un petit sourire triomphant éclaira son visage.
— Je crois avoir trouvé la riposte idéale annonça-t-elle en ouvrant les yeux avec fébrilité Crois-tu que cette ordure apprécierait la plaisanterie si je contactais Nadine Furst pour lui offrir l’exclusivité de l’affaire ?
Connors posa sa tasse.
— Viens par ici.
— Pourquoi ?
S’avançant jusqu’à elle, il lui prit la tête entre ses mains et caressa du pouce l’adorable fossette de son menton.
— Je suis fou de toi, dit-il avant de lui plaquer un baiser sonore sur la bouche. Tu disais que tu avais deux heures devant toi ?
— Plus maintenant.
— C’est bien ce que je craignais. Dommage... Tiens, dit-il en sortant une disquette de sa poche, il se peut que cela te soit utile.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Quelques données que j’ai rassemblées ce matin sur l’ex-mari de Cicely, sur Hammett. Ainsi que des fichiers sur Mercure.
Les doigts d’Eve se refermèrent sur la disquette.
— Je ne te l’avais pas demandé.
— Je sais. Tu aurais pu y avoir accès toi- même, mais en beaucoup plus de temps. Si tu désires utiliser mon équipement, tu sais qu’il est à ta disposition.
Eve comprit qu’il faisan allusion à l’installation informatique ultra-sophistiquée capable d’échapper aux détecteurs réputés infaillibles de l’Ordigard.
— Merci, mais pour le moment je préfère me cantonner aux canaux légaux.
— Comme tu veux... Si tu changes d’avis en mon absence, j’ai donné des instructions à Summerset.
— Summerset préférerait que j’aille au diable, marmonna-t-elle entre ses dents.
— Pardon ?
— Rien, rien... Je vais finir par être en retard. Bon voyage en Australie.
Elle ouvrit la porte de la chambre et se tourna sur le seuil.
— Tu sais, je fais des efforts.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Connors avec un haussement de sourcils étonné.
— A propos des sentiments que tu éprouves pour moi.
Décontenancé par cet aveu inattendu, il la dévisagea un instant en silence.
— C’est méritoire, mais je te conseille de persévérer, lui lança-t-il avec un clin d’œil complice.